ENTRETIEN AVEC BRUNO VIENNE

“Bruno, peux-tu me raconter comment l'idée de tourner un film sur Dom Alexis a évolué pour François et toi au cours des années ?“

   “C’est une longue histoire qui a certainement commencé quand nous étions gamins, le fait de venir à Boquen, d’être dans cette ambiance avec nos parents.

   Nous étions d’un milieu catholique, on venait voir ce moine qui était une figure familiale, quelqu’un d’emblématique pour notre famille bretonne.

Chaque année, à toutes les vacances on allait voir le Père Alexis.

Il y avait des messes données dans la campagne, c’était très fort pour un gamin comme moi.

  Toute la famille avait donné des fonds pour reconstruire l’abbaye.

  Dans les années 90, je travaillais dans le cinéma documentaire et François étant journaliste écrivain, François avait travaillé sur le texte de certains de mes documentaires, on s’est dit que l’histoire du Père Alexis était à raconter.

 J’ai toujours été attiré par la vie monastique, en ce sens que les moines implantés dans des endroits ingrats transformaient des lieux en des endroits magnifiques, non seulement par le travail manuel mais par leur vie mystique.

Ils révèlent le pouvoir d’un lieu qui élève l’âme et nous relie à l’inconnu.

   On a rencontré le Père François Lancelot (toujours vivant), moine à l’abbaye du Mont St Michel qui a été le bras droit du Père Alexis et qui a envie de voir ce film se réaliser.

   Au début on voulait faire un film documentaire, enquêter, rencontrer les gens qui ont connu le Père Alexis.

On a enregistré beaucoup, on a accumulé des matériaux écrits, vidéo et sonores dans les années 90.

L’histoire humaine nous intéressait, pas seulement l’histoire de la reconstruction et c’est au niveau humain que ça n’a pas tellement marché.

   Petit à petit en rassemblant tous ces éléments, on s’est dit “il y a du suspens“, et on a eu envie de faire une fiction située dans l’époque, dans les lieux, en costumes et j’en ai parlé à plusieurs producteurs qui m’en ont dissuadé car le budget aurait été faramineux.

   On a laissé mûrir et un jour, il y a 4 ou 5 ans, François a fait un travail de titan en tapant toutes les notes, toutes les lettres, toutes les interviews et à partir de cela il a pu extraire 7 ou 8 personnages, les plus emblématiques de l’entourage du Père Alexis pour lesquels il a trouvé une façon respective de raconter Boquen, qui était différente pour chacun.

Le Père François plus méthodique, rigoureux, historique, Colin, plus dans les tripes, dans le ressenti, dans le bouillonnement intérieur…

On ne pouvait pas faire raconter l’histoire par les véritables protagonistes, puisque beaucoup d’entre eux sont morts ou très âgés.

   François a alors eu l’idée de les faire interpréter par des acteurs mais non-professionnels, par des gens de notre entourage et c’est ce qui nous a guidés et c’est ce qui fait que ce film est magique. Des gens de différents horizons se sont alors rencontrés autour de ce projet et ça a donné une harmonie étonnante qui se sent dans le tournage.

   Cela s’est fait graduellement depuis 3 ans avec le désir de chacun de participer, ils ont cru autant que nous dans ce projet.

Les acteurs nous ont soutenus, encouragés, les réunions, les répétitions nous ont aidés à concrétiser ce film. Patrick nous a accueilli dans son atelier pour les répétitions, son lieu nous a portés, il y a eu une véritable communion entre nous autour de ce film.

   Un premier producteur, puis un autre, ont cru en nous puis ils ont déclaré forfait. 

   Les producteurs nous ont aidés à faire évoluer le scénario, en trouvant que les simples récits étaient trop rigides, qu’il manquait quelque chose, et alors François a eu l’idée de faire entrer une petite fille en scène qui découvre l’abbaye, et recueille les différents récits des moines. Mais cette idée ne nous a pas totalement convenu finalement.

   Le destin nous a alors envoyé un “message“, ma mère dans un stage de yoga dans le sud, a sympathisé avec un couple de Bretons. Il se trouve que le monsieur est le conseiller général des Côtes d’Armor. Elle lui a parlé du projet de film et cet homme dit qu’il a connu le Père Alexis, ayant été maire de Plénée Jugon. Il trouve que c’est un beau projet et s’engage à le soutenir.

   Fin octobre 2012, cet homme nous reçoit, nous écoute. On lui dit : “On n’a pas de budget, pas de production, rien, mais on a envie de le faire, à la bretonne… “. Il a répondu “Faites un dossier…“.

   On a par ailleurs contacté Candela Productions, une production bretonne, qui décide de nous soutenir. 

   Entretemps, Alexis Ménard, un ami acteur m’a parlé de sa compagne, Julie Pierron qui a monté une maison de production avec une équipe de gens très dynamiques. Très enthousiastes, ils se penchent sur le scénario et trouvent qu’il manque le regard du Père Alexis, qui est seulement décrit.

C’est alors que François a une nouvelle idée, le regard de la caméra et une voix off seront le Père Alexis, qui cherchera à retrouver dans les bois les spectres des moines qui vont décrire ce qu’ils ont vécu. C’est l’esprit du Père Alexis qui vient revisiter et raconter son histoire, qui n’est finalement pas très connue.

La seule fiction du film est la voix off du Père Alexis.

   Et le “Chant des Pierres“ symbolise le chant des moines en résonnance avec les pierres de l’abbaye.

   Là on a senti que le film démarrait, tout s’est mis en place. C’est à la fois un documentaire et une fiction, mais ce n’est pas un docu-fiction.

   Nous avons la chance d’avoir deux “grands “ pour réaliser ce film : François est ami de Philippe Van Leeuw, excellent chef opérateur (il a réalisé en particulier un film magnifique sur le Rwanda) et Yves Grasso qui m’a été vivement recommandé par une amie réalisatrice, Jeanne Mascolo.

   Personnellement je réalise des images complémentaires d’ambiance, de nature, style animalier, qui seront des transitions.

   Alexis Ménard, est un super régisseur, il a l’habitude des tournages.

   Pierre Bonnet fait partie de la famille, il est musicien et fait ses premières armes de perchman. Il est très intéressé, très attentif sous la direction de Yves et se débrouille très bien.

   Marine après ses études à l’université, a été mon assistante et m’a rendu beaucoup de services, elle était présente aux premières répétitions. Elle s’est ensuite formée dans une école de cinéma et est super pour assister Philippe.

   Il y aura la musique avec Alexandra et Tony, des amis. Une voix de femme sera là pour apaiser et donner l’envol à tous ces témoignages de moines.

   Anne Steinlein, qui est aussi une amie, retravaillera les images d’archives avec ses dessins, ce qui donnera un plus au film.

   Janice Jones, une amie de François fera le montage, elle nous donne déjà des indications sur la matière.

   Nous irons peut-être aussi tourner à l’abbaye de Tamié et j’aimerais avoir des images de l’abbaye de Boquen à différentes saisons, voir la pierre qui se casse, gelée, avec la mousse, les racines, des lumières à percevoir, avoir des ambiances pour faire passer cette “vieille histoire“.  

   Sur le tournage, les gens ont de multiples fonctions, c’est très riche et c’est un peu comme une famille, nous sommes nombreux à travailler en même temps sur le même sujet sous des angles différents. C’est intense au niveau des rapports humains.

   Quant aux cuisinières, elles sont vraiment des mamans pour nous et nous font une cuisine remarquable.“

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